[Entretien] “Le gouvernement envoie des signaux inquiétants”

Publié le 27/09/2017

Réforme du code du travail vers moins de dialogue social, débat démocratique écarté, frein aux pouvoir d'achat des fonctionnaires et des retraités : les projets de l'exécutif ne vont pas dans le sens espéré vers davantage de justice sociale. Pour la CFDT, des défis de taille s'annoncent. Laurent Berger répond aux questions de la rédaction.
A noter que Thierry Cadart, Trésorier confédéral était de passage en Aquitaine pour en débattre, lors de 2 réunions militantes, en Béarn et au Pays Basque, les 25 et 26 septembre derniers (photos en PJ).

Cette rentrée sociale a été marquée par la promulgation des ordonnances qui réforment le code du travail. Tu as regretté une « occasion manquée » de renforcer le dialogue social dans notre pays. Que retenir alors de cette première réforme du quinquennat  ?

Ni casse sociale ni coup d’État social, comme certains voudraient le faire croire, cette réforme du code du travail n’en reste pas moins déséquilibrée. Les mesures de flexibilité contenues dans les ordonnances répondent à une vieille lune patronale qui estime que faciliter les licenciements serait bon pour l’emploi. Cette analyse est non seulement fausse, mais elle risque de précariser davantage une partie des salariés.

Pour la CFDT, cette première réforme est surtout une occasion manquée : le gouvernement avait dit vouloir renforcer le dialogue social dans les entreprises, avec les garde-fous de la branche et du code du travail, pour en faire un outil au service de l’emploi et de la croissance économique. C’est un objectif que la CFDT partage. Le problème, c’est qu’il ne donne pas au dialogue social les moyens de se déployer.

Qu’est-ce qui pose le plus problème  ?

Le gouvernement a refusé de rééquilibrer la relation entre employeur et salariés en favorisant la présence syndicale dans les petites entreprises. Dans celles de moins de vingt salariés, l’employeur pourra décider seul. Il devra juste consulter ses salariés. On voit bien les pressions qui pourront s’exercer. C’est inacceptable. Un tiers des salariés français n’aurait pas le droit d’être représenté et défendu par des syndicats pour faire face à la pression de leur employeur  ?

Dans un premier temps, le gouvernement souhaitait même se passer du syndicalisme dans
les entreprises comptant jusqu’à 300 salariés. Nous nous sommes battus tout l’été pour qu’il revienne sur cette décision. Il ne faut pas oublier d’où nous partions au début de l’été et à quel point le travail de la CFDT et d’autres organisations syndicales a permis d’infléchir le projet gouvernemental ! Bien sûr, c’est plus difficile à expliquer aux salariés que de brandir des slogans.

 C’est dans les entreprises que nous devons nous mobiliser, pour faire prendre conscience à tous les salariés qu’il faut faire confiance au syndicalisme et développer un véritable dialogue social.

Pourquoi ne pas avoir appelé à aller dans la rue  ?

Manifester n’est pas un tabou à la CFDT et nous ne nous l’interdirons jamais. Mais nous le faisons quand nous le jugeons utile. Emmanuel Macron avait annoncé ces mesures pendant sa campagne. On ne peut pas lui contester sa légitimité. Je pense même que si nous avions appelé à aller dans la rue, cela aurait été un joli cadeau à ceux qui veulent caricaturer une fois de plus le mouvement syndical. Défiler dans la rue en cette rentrée aurait sans conteste permis une forme de soulagement collectif. Mais pour quelle efficacité  ? C’est dans les entreprises que nous devons nous mobiliser, pour faire prendre conscience à tous les salariés qu’il faut faire confiance au syndicalisme et développer un véritable dialogue social. Tous les employeurs ne partagent pas la vision rétrograde portée aujourd’hui par les organisations patronales.

Le gouvernement annonce de nouvelles réformes sociales dans les mois à venir 
dont celles de l’assurance-chômage et de la formation professionnelle. Est-ce raisonnable de vouloir transformer notre modèle social à un tel rythme ?

On ne peut pas bousculer notre modèle social en quelques semaines. Le gouvernement doit organiser le débat démocratique et social s’il souhaite réformer le pays intelligemment. La CFDT n’a qu’une boussole, celle d’une plus grande justice sociale, et nous avons prouvé que nous pouvons nous engager sur des textes audacieux. Mais nous avons des inquiétudes, notamment sur la question de l’assurance-chômage universelle. Nous partageons l’idée qu’il faut apporter des protections aux travailleurs indépendants, mais il faut le faire en maintenant des allocations-chômage de bon niveau pour l’ensemble des salariés.

Nous connaîtrons plus précisément les intentions du gouvernement dans les prochaines semaines
mais une chose est sûre, nous comptons peser sur chacun de ces dossiers afin de ne pas devoir parler une nouvelle fois d’occasion manquée.

Des mesures budgétaires difficiles ont été annoncées pour 2018. La hausse de la CSG fait débat. Comment se positionne la CFDT  ?

On ne gouverne pas la France avec un objectif chiffré de 3 % comme étendard. Si la CFDT a bien conscience des contraintes budgétaires, je regrette que cette rentrée se résume à des mesures comptables. Je pense à la promesse non tenue de gain de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires
et aux efforts demandés aux retraités qui touchent 1 200 euros de pension et que l’on ne peut qualifier d’aisés. Nous nous battrons pour obtenir des compensations, mais mon inquiétude va au-delà. Le gouvernement ne donne pas le sens de sa démarche : quelle société veut-il construire ? Il envoie des signaux inquiétants. Certes, il revalorise le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé, mais il ne dit rien sur le RSA. Y aurait-il des bons et des mauvais pauvres  ? Sur les migrants, le discours et les actes cet été ont été ambigus. On ne sent pas la volonté d’apaisement de la société. J’ai le sentiment de revivre 2002 : le Front national était au second tour de l’élection présidentielle et le Président n’en avait pas tenu compte.

Parlons d’un sujet plus réjouissant. La CFDT est la première organisation syndicale dans le privé depuis mars  2017. Cela peut-il modifier en profondeur les relations sociales dans notre pays ?

Cela montre en tout cas que les salariés approuvent notre démarche constructive. L’objectif à présent est de devenir la première organisation syndicale tous secteurs confondus à l’issue des élections dans les fonctions publiques de décembre 2018. Nous devons pour cela convaincre tous les agents que notre syndicalisme CFDT est capable de changer le dialogue social dans la sphère publique au bénéfice des agents qui ont aujourd’hui le sentiment de ne pas avoir leur mot à dire sur l’organisation de leur travail, sur leurs missions auprès des citoyens.

2018 est également une année de congrès. Tous les syndicats de la CFDT se retrouveront à Rennes en juin afin de fixer la feuille de route de l’organisation pour les quatre années à venir.

 Oui, c’est un grand moment démocratique que nous sommes déjà en train de préparer  ! Pour la première fois dans l’histoire de la CFDT, tous les adhérents sont invités à prendre activement part aux débats. Le 23 octobre, nous ouvrons une plateforme sur internet (à l’adresse participons.cfdt.fr) qui va organiser cette discussion et donner ainsi la parole à tous les adhérents de notre organisation. Retenez bien cette date, nous comptons sur vous, vos idées et vos envies, pour construire la CFDT de demain. 

 Propos recueillis par aseigne@cfdt.fr  et jcitron@cfdt.fr