Laurent Berger : le risque que ça tourne mal
Vous trouverez ci-joint une interview de Laurent Berger, Secrétaire Général de la CFDT, au quotidien LA MONTAGNE.
Gilets Jaunes, populismes, extrêmes droite et gauche, débat national, place des corps intermédiaires...La CFDT maintient le Cap et défend ses valeurs.

La Montagne - 20/01/2019
LAURENT BERGER ■ Le secrétaire général de la CFDT, premier syndicat français, ne transige pas avec les valeurs
« Le risque que ça tourne mal »
Depuis le début de la crise des « gilets jaunes », le lea- der du premier syndicat français, public/privé con- fondus, insiste sur le rôle des corps intermédiaires et met en garde contre certai- nes paroles publiques trop « complaisantes ».
Un peu comme une vigie, Laurent Berger est de ceux, attachés à certaines valeurs, qui ne tanguent pas dans la tem pête. Le secrétaire de la CFDT évoque sa « vision de l’intérêt général ».
■ Quels espoirs mettez-vousdans ce « grand débat » qui débute ?
Débattre, échan ger… c’est l’ADN de la CFDT. Nous souhaitons nous inscrire dans ce dé bat, tout en exigeant que son indépendance soit ga rantie et qu’on fasse quel que chose de ses conclu sions. Nous appelons à la tenue d’un « Grenelle du pouvoir de vivre », à l’is sue de la première phase du débat. Il faut une phase de concertation à la fin, un temps de démocratie sociale avant la prise de décision. Sinon tout cela n’aura pas de sens.
■ Concrètement, comment la CFDT compte-t-elle œuvrer ?
Nos militants sont aussi des citoyens qui feront valoir nos propositions à travers les débats organisés sur le territoire.
Nous mêmes allons organiser des débats sur les 4 thèmes évoqués, en y ajoutant le grand absent : le pouvoir d'achat.
■ Les « gilets jaunes » ont obtenu des résultats. Un constat d’échec pour des syndicats susceptibles d’être délégitimés ?
Il y a eu un soutien populaire aux « gilets jaunes ». Le gouvernement a cédé, il est vrai, alors que les syndicats demandaient la même chose, notamment sur la CSG, avec des mobilisations souvent bien plus importantes. Je crois que cela doit interroger, en premier lieu, le pouvoir sur sa conception de la démocratie. Mais pas seulement. Comme les politiques, comme les médias, la capacité des syndicats à se faire entendre est inter rogée. Mais ce n’est pas la fin du syndicalisme. Cette crise dit au contraire que lorsque l’on croit pouvoir se passer des corps intermédiaires, cela revient auvisage comme un boomerang.
Si le Président n’a pas compris cela, il y aura de quoi désespérer. La place de premier syndicat récemment acquise par la CFDT montre qu’on a be soin d’une parole forte mais qui négocie car la réalité est plus compli quée qu’un slogan. C’est la victoire d’un syndicalis me exigeant et constructif.
■ À diverses reprises, vousavez mis en garde contre des dérives du mouvement des « gilets jaunes »…
Ce n’est pas qu’une crise sociale. Elle est démocratique éga lement, avec le risque que ça tourne mal pour les li bertés, pour une certaine conception de la démocra tie. J’ai pu choquer, au dé part, lorsque je critiquais cette logique totalitaire qui consiste à obliger des ci toyens à signer une pétition ou à mettre un gilet ja une pour pass er à un barrage. Cela n’enlève rien au fait que des gens vivent des situations inacceptables et je comprends cette colère sociale. Mais des extrêmes de droite et de gau che sont venus la récupé rer. Ce mouvement a dans ses soubassements une logique réactionnaire. On se retrouve avec des violences qui touchen t d es bâti ments, des élus de la Répu blique, des journalistes… Il est respectable d’exprimer une colère de façon pacifique, mais je n’ai aucune sorte de fascination pour ceux qui utilisent la violence à des fins antidémocratiques. À cet égard, il y a eu des paroles publiques trop complaisantes. Je ne suis pas naïf. À la fin, tout cela sert l’extrême droite.
■ Depuis le début de cette crise, vous semblez ne pas tanguer. Or, vous pourriez nourrir quelques rancœurs.
Je refuse les outrances, la violence, le totalitarisme. Je suis profondément atta ché aux valeurs démocra tiques, au respect de cha cun. Il est normal qu’il y ait des confrontations. Mais, les intérêts des uns n’ étant pas ceux des autres, il faut faire émer ger de s s olutions , d es compromis. Je n’ai pas d’ennemi, sinon l’extrême droite. Comme beaucoup d’entre nous, j’aurais pré féré me passer de cette crise. La posture serait de se planquer en attendant que ça passe . Je veux pour ma part, pouvoir répondre à une question simple que chaque acteur de la société doit se poser. De là où je suis, aurai-je fait le nécessaire pour ne pas que l’on tombe dans une logique totalitaire ? Dont d’ailleurs les travailleurs sont toujours les premières victimes. Voilà pour quoi, malgré les amertumes qui peuvent exister, la CFDT continuera à défend re les travailleurs et à porter sa vision de l’intérêt général.